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Quand le chef est une patronne

Existe-t-il une façon typiquement féminine de diriger ? La question divise. « La filiale est dirigée par une femme ingénieur rigoureuse, qui sait aussi humaniser les relations », observe Arividya Noviyanto, DRH de Total en Indonésie (3.800 personnes). Comme lui, nombre de salariés placés sous l'autorité de femmes évoquent leur sensibilité et leur style différent. Pour quelques-uns toutefois, le genre importe guère et « seule diffère la personnalité », comme l'assurent Valérie Duval et Gilbert Hamaïde, deux chefs de service de la direction stratégie global gaz et GNL de GDF Suez, dirigée par Valérie Ruiz-Domingo. « Mon boss n'est ni une femme ni un homme, c'est un chef », renchérit Vincent Bouchoux, directeur au sein du centre de contact client France de Schneider Electric, que dirige Claire Bryan. Une patronne au management « situationnel et indépendant du genre », d'après Michel Meriaux, directeur lui aussi.

Il n'empêche. Au sein de l'Union européenne, où 10 % seulement des dirigeants de sociétés cotées sont des femmes et 3 % en sont PDG (2 % en France), d'évidence, la problématique du genre est loin d'être évacuée... A fortiori quand l'Insee note, dans le secteur privé, que le salaire des femmes demeure inférieur de 23 % à celui des hommes. Il saute alors aux yeux que l'accession des femmes au pouvoir dissimule bien des luttes. « On a toutes endossé des habits masculins ; il fallait en faire plus que les hommes et être plus tranchantes... Je me souviens d'une chef de marque d'une dureté impressionnante. Sous son autorité, j'allais au travail la peur au ventre », se rappelle Isabelle Parize, présidente du directoire de Nocibé. Aujourd'hui, les dirigeantes mixent avec bien plus de facilité autorité et féminité. Mais le plus difficile reste pour demain : augmenter leur nombre.

La loi Copé-Zimmermann de 2011 instaure un quota de femmes dans les conseils d'administration et de surveillance (d'abord de 20 %, puis de 40 % en 2017), mais qu'en est-il de la mixité aux différents échelons de l'entreprise ? « Sans volonté explicite, sans déclinaison opérationnelle, sans objectif chiffré [...] , l'ascension des femmes reste un voeu pieu », relevait Pascal Morand, le directeur général de l'ESCP Europe, lors d'un colloque fin janvier.

Que faire alors ? Impliquer fortement les hommes du top management, mieux gérer les talents et faire... du prosélytisme. Des programmes de sensibilisation, comme ceux en vigueur chez Société Générale, pointent les biais de raisonnement hérités de l'éducation qui enferment les talents féminins dans des préjugés. « Les femmes peuvent aussi pâtir de leur manque de visibilité au sein de réseaux », avertit Luc Valentin, DRH de Nocibé. C'est pourquoi la formation et le coaching les aident - sans perdre leur identité -à mieux se mouvoir dans un milieu professionnel d'essence masculine, à s'y créer des relations et à y décrypter les règles et pratiques implicites. De ce rude exercice, tous - femmes, hommes, entreprises -devraient sortir gagnants.
Les Echos du 06/03 - Muriel Jasor